Le conflit n’est pas mon ennemi

Ayant grandi entre deux parents qui se disputaient souvent, toujours autour des mêmes thèmes, j’ai appris très tôt que le conflit ne changeait rien. Dès que la charge sonnait tout ce qui était dit devenait des armes pour toucher là où ça fait mal, là où il fallait s’endurcir. Au fond, ce n’était qu’une démonstration de force au bout de laquelle chacun retournait, plus ou moins écorché, derrière sa barricade, dans ce confort illusoire d’être celui qui a raison.

Naturellement, je suis devenu dans mon propre couple celui qui préférait s’adapter à tout prix, plutôt que de s’engager dans le conflit, une voie que je croyais sans issue. Évidemment cette fuite en avant, ce refoulement de toutes mes frustrations m’ont mené dans toutes sortes de voies de travers, dans la manipulation, les demi-vérités et les mensonges par omissions. Inconsciemment, toutes ces parties de moi refoulées, refusaient de rester là sans rien dire, sans rien vivre, tandis que je m’efforçais d’être ce qu’on attendait de moi.

Et puis, malgré toutes nos stratégies d’évitement, de vraies crises sont arrivées et les conflits sont devenus inévitables. Étonnamment, n’ayant plus rien à perdre, nous avons l’un et l’autre osé dire notre vérité toute nue, de celles que je cache jusqu’au dernier moment, parce que je suis convaincu que je ne peux être aimé à cet endroit-là. Alors, ô miracle, quelque chose qui n’en pouvait plus de se cacher, d’avoir honte, a finalement pu se dire et, surtout, être entendu par l’être aimé qui est resté là compatissant a écouter, a accueillir.

Quel soulagement à travers cette expérience profondément émouvante, de ressentir cette intense connexion, cette complicité vibrante avec l’autre! Et pourtant, il n’avait aucunement été question d’avoir raison, de terrasser un adversaire, de vaincre l’ennemi. Pour la première fois de ma vie j’invalidais ces croyances héritées de l’enfance. Le conflit n’était pas nécessairement mon ennemi! Au contraire, il portait en soi cette délicieuse promesse de connexion si nous osions plonger ensemble dans cet espace profondément transformateur de la vulnérabilité, du cœur.

Après c’est tout un chemin, sans commencement ni fin, d’oser quitter ensemble la sécurité, le confort illusoire de nos barricades. Armés de notre seul courage, déposer ensemble épées et boucliers pour choisir la vulnérabilité, cet espace si riche, si inconfortable qui existe quand nous nous détachons de nos histoires (mentales) pour nous rejoindre sur ce petit pont, qui depuis toujours, relie nos deux cœurs si tendrement.

~Jean-Philippe Ruette