Il existe ce carrefour dans la vie d’un couple, ce point de bascule où, peut-être pour la première fois de leur vie, les amants s’engagent à prendre la pleine et entière responsabilité de leurs émotions. À partir de cet instant, les mélodrames commencent à se dissoudre à la lueur de la vérité qui lentement commence sa remontée. Chaque activation devient une occasion de voir au-delà de tout ce que je projette sur l’autre et d’accueillir enfin ma propre souffrance.
Cette plongée à deux vers soi-même ouvre alors des espaces infinis de partage, de connexion où nos cœurs meurtris s’ouvrent enfin, malgré la peur, malgré la honte, malgré le poids d’une éducation où, comme vous peut-être, j’ai appris à présenter mon plus « beau » côté tout en exilant dans l’ombre (dans la honte) toutes mes « imperfections ». Quel prix à payer ! Toujours cette anxiété en toile de fond, cette peur de perdre l’amour si on me voit tel que je suis réellement.
Au début ma peur était vertigineuse. Si j’ose lui montrer cette part de moi, quelle sera ma sentence ? Serais-je crucifié par son regard, terrassé par ses mots, anéanti par son départ ? Toujours ce triangle infernal, où le juge travaille de concert avec ses deux équipiers préférés… Oui ma tête comprenait que la responsabilité émotionnelle court-circuitait le blâme et le jugement, mais mon corps, tout mon système nerveux ne le croyait pas.
Avec la pratique, la tendresse, la présence partagée, cette peur glacée s’est mise à fondre et à se remettre en mouvement comme la mer est agitée naturellement par ses propres marées. Et chacune de mes plongées pour ramener d’exil des parts de moi me ramène aussi dans le flot de la vie, où j’ose incarner, un peu plus chaque jour, cette couleur unique qui est la mienne.
Pour moi le chemin commence à cet instant où, dans le fil d’une conversation, je me surprends à retenir mes mots en écoutant cette voix dans ma tête qui me répète : « tu ne peux pas lui dire ça ». Parfois je me retiens encore, mais de plus en plus j’ose lui dire, en prenant toute la responsabilité de mes émotions, ce que je ne veux pas lui dire, surtout ce que je ne veux pas lui dire.
Alors, comme par magie, je sens quelque chose en moi se détendre, s’ouvrir et sourire enfin d’avoir été vu, entendu, reçu par elle, mais surtout par moi.
~Jean-Philippe Ruette